Le P. Sylvain Cariou-Charton, Président de l’Association Loyola Education, s’adresse aux communautés éducatives à propos du rapport de la CIASE.
La lutte contre les abus, où en est-on dans les établissements sous tutelle des jésuites ?
Chers amis,
La publication du rapport de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église (CIASE) marque une étape fondamentale et très attendue dans la poursuite des actions de prévention de ces abus. Nous accueillons ce travail comme un soutien précieux. Nous savons que l’ampleur des faits dramatiques évoqués, suscitera interrogations et inquiétudes au sein des communautés éducatives, ainsi que chez les parents qui font confiance aux établissements qu’ils ont choisi pour accompagner la croissance de leurs enfants.
Les informations contenues dans ce rapport complètent et corroborent les faits parcellaires dont la Compagnie de Jésus a eu connaissance depuis la création de sa cellule d’accueil et d’écoute en 2014 (cf. communiqué de la Compagnie de Jésus sur le site www.jesuites.com). En effet, depuis sa création, 64 personnes victimes d’abus sexuels (toutes situations confondues) ont été entendues, 39 étaient mineures lors des faits. Les relations entre la CIASE et cette cellule ont d’ailleurs permis de mieux cerner les situations, de recevoir de nouveaux témoignages et d’identifier d’autres jésuites qui se sont rendus coupables d’abus.
Il faut souligner le courage des personnes victimes qui ont accepté de témoigner de ce qu’elles avaient subi. C’est à elles que nous devons la connaissance des faits d’abus. Il est essentiel de prendre conscience, d’entendre et de reconnaître la souffrance que ces personnes ont endurées, les empêchements de vivre qu’elles ont vécus et les dégâts humains considérables que ces actes ont occasionnés dans leur vie. La blessure est profonde, la vérité accablante.
De quoi avons-nous connaissance pour le réseau des établissements ayant été ou actuellement sous tutelle de la Compagnie de Jésus ?
Nous savons aujourd’hui que 29 jésuites ayant travaillé dans un établissement scolaire jésuite en France depuis 1950 ont été identifiés par des victimes. Les faits se sont déroulés dans quinze établissements qui furent ou sont encore sous-tutelle de la Compagnie de Jésus[1]. Les témoignages des personnes victimes rapportent les actes suivants : attouchements, embrassades forcées, voyeurisme, agression sexuelle. Ils se sont déroulés lors d’activités de jeux, de sport ou dans des moments de rencontres individuelles, parfois même en confession. Un viol sur un majeur est rapporté quelques années après sa scolarité dans un établissement jésuite. Les faits les plus anciens datent des années 1950 et le plus récent des années 1980. Tous ces récits sont accablants et profondément choquants. Ils relatent des actes commis par des personnes ayant autorité éducative et autorité spirituelle. Comme le disent les évêques, « le scandale devant Dieu n’est pas la perte de réputation d’une personne ou d’une institution mais le fait de faire tomber, d’abîmer un “petit “ et de l’empêcher d’avancer vers la bonté du Père ».[2]
Nous jésuites, nous sommes tristes et honteux de ces actes commis par plusieurs des nôtres et pour l’indifférence ou l’incompréhension dont notre ordre religieux a pu faire preuve dans le traitement de ces situations.
Qu’en est-il aujourd’hui des établissements scolaires sous tutelle des jésuites ?
Devant ces faits anciens, les communautés éducatives ainsi que les parents sont en droit de se demander ce qui est fait aujourd’hui pour prévenir ces situations et donner des garanties que les établissements scolaires jésuites actuels[3] sont des « maisons sûres ».
Rappelons que, depuis de nombreuses années, les chefs d’établissement mettent en œuvre les procédures demandées par les pouvoirs publics et le ministère de l’Éducation nationale pour procéder aux signalements lorsque nécessaire. Le réseau de l’Enseignement catholique s’est largement saisi de cette question pour conscientiser et former les cadres des établissements au traitement de toute situation d’abus pouvant se dérouler dans le cadre de l’école. Le réseau Loyola-Éducation entre pleinement dans ces démarches et procédures. Les dispositifs s’élargissent d’ailleurs de plus en plus avec la mise en place des fiches de recueil d’une information préoccupante qui concernent la protection des mineurs contre la violence familiale, le harcèlement, les dérives sectaires, la radicalisation, etc.
L’enfant doit toujours être considéré comme une personne vulnérable qui a besoin d’un cadre professionnel et parfaitement sûr pour vivre sa croissance humaine, intellectuelle et spirituelle dont il a besoin pour s’épanouir et devenir un adulte accompli. Cela suppose de former de façon initiale et continue les personnels auxquels ils sont confiés : enseignants, cadres éducatifs, acteurs de la pastorale scolaire, salariés, bénévoles, qu’il s’agisse de religieux ou de laïcs. Cela s’accompagne aussi, pour les jeunes, par la mise en œuvre d’un programme de formation et de prévention dans les champs de l’éducation affective, relationnelle et sexuelle (EARS). La prise de conscience de l’ampleur des phénomènes d’abus sur mineurs dans les familles, de l’accès à la pornographie ou à la violence sur les réseaux sociaux, ouvre malheureusement de nouvelles responsabilités pour éduquer les jeunes et assurer un travail de prévention qui puisse leur permettre de parler pour nommer ses situations et y échapper.
Depuis 2016, le protocole « Face aux situations d’abus sexuels – prévention et action » rédigé par la Province jésuite d’Europe Occidentale Francophone, s’applique à tous les établissements scolaires. Par-delà les textes, la formation à la prévention suppose la mise en place de procédures et de programmes de formation qui répondent aux standards internationaux, dont ceux demandés par la Compagnie de Jésus au niveau universel. En ce domaine, l’effort se poursuit avec détermination et volontarisme. Les chefs d’établissements sont régulièrement amenés à se former et à former leurs cadres en ce sens. De leurs côtés, tous les jésuites de France ont participé en 2018 et 2020 à des journées de formation obligatoires comportant des témoignages de personnes victimes, des interventions d’experts, des temps de relecture et de partage.
L’ensemble de ces démarches a aussi pour fondement un véritable changement de regard et de posture. Le rapport de la CIASE est très clair : l’Église a souvent pratiqué la dissimulation, minimisé les faits ou réduit au silence les personnes victimes d’abus plutôt que d’accueillir, d’écouter puis d’assumer en face et publiquement ses responsabilités du point de vue de la vérité, de la justice et de la réparation éventuelle. Les faits rapportés montrent que bien des établissements scolaires jésuites n’ont pas dérogé à ce comportement. Le réseau Loyola-Éducation, dans le mouvement de toute la Compagnie de Jésus, entend faire tout ce qui est en son pouvoir pour avancer avec détermination et s’assurer que cette époque est révolue. C’est un engagement que nous devons aux parents qui nous font confiance et qui portent avec nous l’avenir de l’enseignement catholique.
Restons vigilants, très attentifs et à l’écoute. Poursuivons une politique active de formation des adultes et d’éducation à la relation des jeunes, pour continuer de prendre soin des élèves qui nous sont confiés et particulièrement des plus fragiles.
P. Sylvain Cariou-Charton, sj
Président de l’Association Loyola-Éducation
[1] En 1960, les établissements jésuites étaient présents dans les villes suivantes : Alger, Amiens, Avignon, Bordeaux, Cormontreuil, Dole, Evreux, Le Mans, Lille, Lyon, Marseille, Metz, Montpellier, Nantes, Paris, Reims, Saint-Etienne, Sarlat, Toulouse, Vannes, Versailles. Ils scolarisaient 14 213 élèves. Source : Le goût de l’excellence. Quatre siècle d’éducation jésuite en France, Philippe Rocher, édition Beauchesne, 2011, Paris, 438 pages. Voir l’annexe 6, p. 361.
[2] « Lettre aux catholiques sur la lutte contre la pédophilie », publiée par les évêques de France le 25 mars 2021.
[3] Le réseau actuel des établissements sous tutelle de la Compagnie de Jésus est fédéré au sein de l’Association Ignace de Loyola-Éducation créée en 2008. Ce réseau rassemble aujourd’hui 15 ensembles scolaires en France et scolarise 22 500 élèves.